Le conflit indépendantiste de la Casamance, dans le sud du Sénégal, a duré plus de quarante ans: en dépit de plusieurs accords de paix, il a fait des milliers de victimes et dévasté l’économie d’une région à fort potentiel agricole et touristique. Aujourd’hui, la suspension presque totale des hostilités depuis plusieurs mois et dernièrement l’invite du chef de l’Etat, Macky Sall, au Mfdc à enterrer définitivement hache de guerre, font toutefois renaître l’espoir d’un retour à la paix.
Naissance de la rébellion
Il y’a 40 années commençait le conflit qui a déchiré la plus belle région du Sénégal.
Nous sommes le dimanche 26 décembre 1982, la Casamance, en particulier sa capitale Ziguinchor, sort péniblement des libations de Noël. Des brouillards de ce matin de décembre un peu frisquet, les habitants perçoivent comme dans un rêve, des silhouettes fantomatiques dans les rues vers le centre de la ville. Dans toutes les grandes artères, des centaines de personnes, hommes et enfants venus de différents quartiers de la ville, des villages environnants et d’autres plus lointains, les femmes sorties du bois sacré se dirigeant vers la gouvernance, siège de l’administration régionale, représentation de l’administration centrale. Vers 11 heures, la manifestation appelée par le Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC), dont beaucoup entendaient parler pour la première fois s’agglutine devant la grande bâtisse de style colonial, en face du fleuve Sénégal. Mal préparées à ce qui allait se passer, les autorités n’avaient pas mis en place un dispositif de sécurité important. Juste quelques policiers mal équipés et mal entraînés aux affrontements de rue.
Soudain, au grand ahurissement général, le drapeau nation est descendu et remplacé par un drapeau blanc. Plus tard, les responsables du Mfdc expliqueront que le drapeau blanc était le signe que leur mouvement était pacifiste, un signe de paix. Par ce geste de lèse république pour les autorités de l’époque, le Mfdc affichait ouvertement, ses velléités indépendantistes. Mais après leur première surprise, les autorités revenues à la réalité, donnent l’ordre aux forces de police de disperser la manifestation. Plusieurs manifestants sont blessés, des dizaines arrêtées dont l’abbé Diamakoune Senghor qui, plus tard, apparaîtra comme le secrétaire général du mouvement. Un an plus tard, le 17 décembre 1983, le Mfdc décide de commémorer l’anniversaire de la manifestation réprimée l’année précédente, mais cette fois-ci, l’administration s’est préparée pour le meilleur comme pour le pire.
Ce sera, malheureusement, pour le pire avec le début d’un conflit meurtrier qui a duré plus de 40 années. Cette fois-ci aussi, les manifestants se sont préparés, ils sont venus armés de machettes, de coupes coupes et autres armes blanches et occupent la même place qu’un an auparavant. Mais en face des manifestants sagement assis devant les grilles de l’imposant bâtiment de la gouvernance, un dispositif impressionnant de forces de l’ordre, fortement armées les attend. Après de violents affrontements, des dizaines de corps jonchent le sol devant la gouvernance et dans certaines artères de la ville. La nouvelle du drame, comme une traînée de poudre gagne les villages les plus reculés et autres îles de la Casamance, ainsi que les autres villes du Sénégal. La rébellion casamançaise est née. La tragédie d’une région a commencé, le Mfdc a déclaré la guerre à Dakar, l’accusant d’avoir massacré des fils de la Casamance.
Développement du maquis
Un an plus tard, quelque part dans la forêt classée à la frontière avec la Guinée-Bissau, Atika, la branche armée du Mfdc voit le jour à l’initiative de Sidy Badji, un ancien combattant de l’armée française. Dans un premier temps, les autorités de Dakar, absorbées par les soubresauts des élections présidentielles et législatives de février de 1983 ne voient pas le maquis se développer sur son flanc sud et le qualifie de bande armée hétéroclite et de clics de bandits. Au début mal équipés, les maquisards se voient bientôt doter d’un armement sophistiqué dont l’essentiel vient de la Guinée-Bissau. Un pays qui sort de plus d’une décennie de guerre d’indépendance contre l’ancienne puissance coloniale, le Portugal. Jusqu’en 1990, date de l’intensification du conflit, c’était une drôle de guerre qui se déroulait au sud du pays, mais qui change, brutalement, du tout au tout. Des fusils de chasse qu’ils utilisaient jusque-là, les rebelles passent aux fusils d’assaut et autres mitraillettes AK47. Le gouvernement réalise avec horreur que la jacquerie initiale est devenue une vraie guerre et met le paquet pour, dit-t-il, éradiquer la rébellion. Ce qui était plus facile à dire qu’à faire. À preuve, elle dure encore, après quarante ans. Selon les chiffres généralement cités, sans pour autant que l’on puisse jurer de leur exactitude, entre 1990 et 2023, le conflit aurait fait plusieurs milliers de victimes dont plusieurs centaines tuées de part et d’autre ainsi que des civiles.
Règlements de compte et Accords
C’est durant ces trois décennies que l’armée sénégalaise connaîtra également ses plus grandes pertes qui marquent le tournent du conflit. En effet, en 1995 à Babondan , village frontalier avec Bissao et en 1997 à Madina Mankagne, à 3 kilomètres de Ziguinchor, l’armée tombe dans deux embuscades et y laisse une soixantaine de soldats. On estime, aujourd’hui, plus de quatre vingt dix mille personnes déplacées, des centaines de villages détruits et ou désertés, minés comme la plupart des routes et pistes de la Casamance. D’autres massacres ont été aussi commis sur des citoyens de la Casamance, hélas œuvrant pour le retour de la paix. Ils ont été victimes de leur engagement. Dans ce lot, figurent en grande place des personnalités politiques et religieuses. Le cas d’Omar Lamine Badji tué dans sa maison à Sindian en décembre 2006 et Samsdine Néma Haidara en décembre 2007, illustre ce phénomène qu’il convient d’appeler « un règlement de comptes entre fils de même patrie et du même terroir ». La mort de certains chefs rebelles a vu surgir différentes branches armées. Des hommes comme Ousmane Badji dans le Sindian, Mane Badji dans le Diouloulou et César Atout Badiate dans le Oussouye. Ces éléments, de par leurs stratégies et leurs expériences respectives, pendant que Salif Sadio, chef charismatique de la bande armée du mouvement était sous l’ombre, ont mené des actions qui vont pousser Dakar à trouver des solutions en collaborant avec l’aile civile, l’aile politique du Mfdc et le mouvement des intellectuels de la Casamance. Ainsi, ils ont pu se retrouver autour de la table de négociations. Leurs actions engagées d’un commun accord a suscité des espoirs avec les réunions de Foundiougne 1 et l’engagement de l’Etat pour la reconstruction de la Casamance.
Au pouvoir, ces efforts ont été presque aliénés par l’intrusion de l’argent qui a engendré plus de dégâts qu’il en a résolus. Dans ce contexte, Macky Sall qui a succédé à Me Abdoulaye Wade hérite, lui aussi, d’un dossier marqué par les massacres de Diagnon et les attaques meurtrières du cantonnement militaire de Diégoune. Un chemin de la paix difficile à baliser.
Abdou Diouf, alors président de la République, croyait pourtant trouver la solution avec les accords de 1991. Le Président Abdoulaye Wade lui, pensait détenir la clé de cette situation avec les accords signés en 2004. Hélas ces efforts se sont tous effondrés tel un château de cartes laissant sur place, une paix seulement dans les mots.
En 2012, Trente ans après le début du conflit, on espérait aussi un déclic vers cette paix tant recherchée avec la main tendue de Salif Sadio à l’époque à Macky Sall pour des négociations à Sant Egidio à Rome, les 13 et 14 octobre de la même année, entre le gouvernement du Sénégal et une délégation du Mfdc pour des accords.
Renaissance d’espoirs de paix
La réalité est que depuis 1982, trois présidents sénégalais se sont frottés à cette crise casamançais: Abdou Diouf jusqu’en 2000, Abdoulaye Wade jusqu’en 2012 et puis Macky Sall. A ce jour, aucun d’entre eux n’est encore venu à bout du conflit. Et selon certains observateurs de la crise, comme le journaliste Ibrahima Gassama, directeur de la radio Zig-FM, chacun y a sa responsabilité: « l’un des principaux obstacles est qu’il n’y a pas eu de passation du dossier casamançais entre les trois résidents. Ce qui fait qu’il n’y a pas de continuité au sein de l’Etat. Chaque président a adopté sa propre stratégie en faisant table rase de ce qui avait été réalisé avant », indique-t-il.
L’on se rappelle des accrochages qui ont eu lieu le 24 janvier 2022 en territoire gambien entre la Mission ouest-africaine en Gambie (Eco Mig), une force de la CEDEAO composée essentiellement de militaires sénégalais, et les combattants du Mouvement des forces démocratiques de Casamance. Des affrontements au cours desquels 4 militaires ont perdu la vie et 7 autres, détenus en otage par le Mfdc.
Aujourd’hui, la libération de ces soldats sénégalais qui étaient retenus en otage pendant un an par une des branches de la rébellion du Mouvement des forces démocratiques de Casamance, ainsi que la suspension presque totale des hostilités depuis plusieurs mois, font toutefois renaître l’espoir d’un retour à la paix.
Main tendue de Macky Sall
Même si la main tendue du chef de l’Etat, Macky Sall, au Mfdc est diversement appréciée au sein du mouvement, elle sonne comme une consolidation des acquis dans le processus de paix en Casamance et suscite des réactions favorables. Certains chefs rebelles et leurs factions restent indifférents à l’appel, se démarquent et demandent des actes concrets. Alors que d’autres factions, notamment, celles de Diakaye approuvent et saisissent cette perche tendue par le président de la République.
Cet appel du chef de l’Etat, Macky Sall, lancé la semaine dernière depuis Goudomp, lors de sa tournée économique, résonne comme une consolidation des deux accords déjà paraphés. Cela va conforter les acquis déjà réalisés dans le processus de paix. Et, à la suite d’épreuves de forces imposées aux autres factions rebelles, une situation établie très favorable à l’Etat. Cela sonne également comme une ouverture en direction des autres factions radicales, pour un signal fort comme pour dire qu’il est encore possible de se retrouver: l’espoir est donc permis.
Les négociations à Sant Egidio sont aujourd’hui gelées certes, mais cet appel du pied de Macky Sall, devrait relancer le dialogue sous d’autres formes.
Malgré les opérations de sécurisation au sud du pays qui ont fait fuir des chefs rebelles comme Salif Sadio, le dialogue reste toujours d’actualité, par sa ligne directrice. Surtout que le président Sall, réitère sa volonté de pacifier complétement la partie sud du pays qui tangue depuis 40 ans entre paix et violence. Même si certaines têtes pensantes du maquis déclinent cet appel du chef de l’Etat, d’autres factions rebelles, comme celles de Diakaye ont exprimé toute leur adhésion à cette perche tendue par Macky Sall. L’Initiative pour la Réunification des Ailes Politiques et Armées (IRAPA) du Mfdc approuve cette sortie du Chef de l’Etat. D’ailleurs, son porte-parole, Seyni Badji, estime qu’il faut plus de cohésion entre la déclaration et l’acte.
Donc, c’est clair dans leur tête, cet appel du chef de l’Etat marque sa constance sur sa volonté de trouver une solution définitive au conflit casamançais. Diakhaye est en phase avec cette main tendue. Maintenant, c’est au Mfdc de saisir cette opportunité pour pouvoir profiter de cette main tendue et privilégier le dialogue par les populations qui sont aujourd’hui fatiguées.
Comme si cela ne suffisait pas, M. Badji a lancé un appel aux autres factions du Mfdc avant d’interpeller l’Etat afin qu’il se fasse violence et ne pas répondre au comportement du Mfdc par la violence. « Il y a des gens qui affichent leur bonne volonté à cheminer vers la paix. Cette guerre n’a que trop duré. Il faut régler le problème par la négociation », a lancé Seyni Badji.
Cette main tendue a également suscité des réactions en dehors du mouvement. La classe politique aussi, a apprécié à sa juste valeur cet appel.
C’est pourquoi, toutes les franges de la société doivent œuvrer dans la recherche de la paix et conjuguer surtout leurs efforts, pour une paix définitive en Casamance.
De son côté, la Plateforme des femmes pour la paix en Casamance qui a toujours porté le plaidoyer, réitère aussi, son engagement à œuvrer pour une paix définitive en Casamance.
Depuis le début du conflit, bien des appels se sont succédé, mais cette dernière en date qui invite à déposer définitivement les armes installe une lueur d’espoir chez les populations qui espèrent que cette sortie du Chef de l’Etat ne sera pas un appel de plus.
La réconciliation est importante pour tous les protagonistes et cette situation de « ni paix, ni guerre » est intenable à long terme.
Aujourd’hui la suspension presque totale des hostilités et l’appel de Macky Sall à enterrer définitivement la hache de guerre font toutefois renaître l’espoir d’un retour à la paix tant attendue par les populations du sud du pays.