PAR BACARY DOMINGO MANE : « SECRET DÉFENSE OU DÉFENSE DU SECRET »
Les bûcherons-fossoyeurs de la liberté de la presse et de la démocratie veulent ainsi abattre les rares arbres encore debout dans la savane médiatique sénégalaise, tristement clairsemée. Ils ne supportent pas le regard impénitent du journaliste d’investigation qui titille leur mauvaise conscience en mettant sur la place publique leurs tares. Des misérables…abonnés au divertissement1. Ils vouent aux gémonies une profession et ses acteurs. On les entend débiter ces expressions : «Nul n’est au-dessus de la loi ; force restera à la loi ; nous sommes dans un Etat de droit ; ces journalistes se croient tout permis etc ». Ce sont des leçons de bandits à col blanc aux «convictions» changeantes. Pour sûr, la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe.
Le pouvoir du Président Macky Sall vient de franchir la ligne rouge avec le placement sous mandat de dépôt du journaliste de révélation, Pape Alé Niang. Un confrère qui, aujourd’hui, est l’un des symboles d’une presse libre et digne, au service de l’intérêt général. Il n’a jamais perdu de vue que ce métier ne cherche pas à plaire ou à faire tort, mais a pour mission de porter la plume dans la plaie 2. En mettant aux arrêts un journaliste, l’Etat vient de poser un nouveau jalon dans sa tentative de museler la presse.
2004, un combat de principe
Nous sommes loin de 2004, quand le 12 juillet de cette année, le directeur de publication du Quotidien était interpellé et placé sous mandat de dépôt. Pour «diffusion de nouvelles de nature à provoquer des troubles politiques graves et jeter le discrédit sur les institutions3» Ce dernier avait bénéficié de la solidarité agissante de toute la corporation avec de fortes têtes dont certaines ne sont plus de ce monde.
Un combat de principe, aujourd’hui dévoyé par ceux qui avaient fait face au régime libéral de Me Wade, lorsque ce dernier pataugeait dans des scandales préjudiciables à notre démocratie. Ces plumes ont alors décidé de ne plus écrire l’histoire en se mettant du côté d’un pouvoir dont ils sont devenus les chiens de garde. Ce sont des oiseaux encagés, aux ailes cassées et qui ne goûteront plus au plaisir du vol…libertaire. Ils ont fait du ventre mou de l’Etat leur refuge culinaire. Ces mange-mil…
Pourtant, dans un élan de solidarité aux allures d’un pacte de sang, nous avions investi la rue (Pape Alé était en première ligne), trempé nos plumes dans l’encre de l’indignation pour que cette profession ne perde pas la face. Hélas !
Macky et sa méthode douce d’enrôlement
Macky Sall a réussi là où Wade avait échoué, en «enrôlant dans son système des patrons de presse qui étaient perçus comme les plus grands pourfendeurs du régime libéral»4. Et sa recette miracle pour «museler la presse», est «la méthode douce, celle qui consiste à être ami avec tout le monde surtout les grandes gueules et les grandes plumes»5 . Pour le même auteur, l’élite journalistique est au service du pouvoir et complice «d’une stratégie réceptive qui vise à tromper les croyances du public sur la vérité du discours». Moralité : «Les mercenaires de la plume sont maîtres dans l’art de falsifier les discours médiatiques. Ils sont une menace pour la liberté de presse».
Le placement de Pape Alé Niang sous mandat de dépôt pour «divulgation d’informations non rendues publiques par l’autorité compétente de nature à nuire à la Défense nationale ; recel de documents administratifs et militaires ; diffusion de fausses nouvelles de nature à jeter le discrédit sur les institutions publiques», pose la lancinante question des dispositions liberticides du Code de la presse dont celles des articles 5 et 18 parlant de «Secret Défense». Une notion fourre-tout qui rappelle, à bien des égards, l’article 80 du code pénal(offense au chef de l’Etat ; trouble à l’ordre public, diffusion de fausses nouvelles etc)
Vous avez dit Secret Défense !
Le danger pour la profession, c’est le caractère extensible de la définition du Secret Défense. Sur quoi reposerait sa légitimité s’il doit institutionnaliser des pratiques dévoyées ? Et si cette loi visait à museler la presse et à la rendre moins opérationnelle dans ses investigations sur les dysfonctionnements des institutions publiques, militaires et les cas patents de corruption ? Elle nous installe confortablement dans une sorte de «Camera obscura» qui en dit long sur les intensions du législateur de protéger certaines personnalités et institutions.
Nous craignons que ces mêmes règles servent à dissimuler des agissements coupables, imputables à des décideurs politiques, militaires ou autres hommes d’affaires plus enclins à défendre un secret.
Pour dissiper toute équivoque, nous sommes d’avis que le journaliste ne saurait s’opposer à la loi relative au «secret défense» si elle sert l’intérêt général. Les informations de nature à fournir les moyens aux forces étrangères etc. doivent être strictement protégées par les règles touchant le secret défense. Surtout en ces temps de montée des périls djihadistes où la diffusion de certaines informations peut mettre en danger les populations.
Chat échaudé…
Mais chat échaudé craint l’eau froide. Et ce ne sont pas les exemples qui manquent montrant des autorités étatiques poser des actes qui ressemblent à la censure.
Or, en voulant appliquer cette mesure à toute information concernant l’Armée, le pouvoir est en train de voler… en secret, notre cœur de métier.
L’information est de l’ordre du caché, du secret. Elle circule en règle générale, qu’à travers les canaux les plus confidentiels 7.
Le secret, quoi de plus excitant pour le journaliste. C’est l’ADN de l’information. J’imagine la tristesse et la désolation d’un Général dépouillé de ses barrettes étoilées. Le journaliste s’intéresse à ce qui est sous la rature. Le palimpseste excite son regard. Plus il y a des chars autour du bunker, plus il risque sa vie. Pas pour lui-même mais pour le droit du public à l’information. C’est tout le sens du journalisme d’investigation. C’est pourquoi le professionnel tient à protéger ses sources.
Le journaliste et le soldat
Le soldat défend le peuple et le journaliste se charge lui de lui apporter la nourriture de l’esprit : l’information. Tant que les deux ne mettent en avant que l’intérêt supérieur de la nation, leurs chemins convergeront.
En hommage aux journalistes encore debout
En hommage à tous les journalistes encore debout, je voudrais partager ce dialogue percutant tiré de la série «Secret State» 8, diffusée sur Arte :«Vous semblez oublier la loi sur le secret défense». L’autre répond : «Et vous, vous semblez croire que votre secret est utile à la défense».
Les deux doivent méditer ces paroles de Jésus aux Juifs qui ont cru en lui : «Vous connaitrez la vérité et la vérité vous affranchira» .
Bakary Domingo Mané.