Ainsi donc le Président a chanté. On l’avait vu une fois danser et il ne s’était pas mal débrouillé. Quant au chant, la voix de Macky Sall n’était pas si mélodieuse, pour dire le moins. Néanmoins, elle était dans le tempo donné par « Le douzième Gaïndé ». Après tout, il faut savoir charmer Dame Coupe du Monde pour la conquérir même avec une voix rauque, pardon de rocker. Ce n’est pas nous qui bouderons notre plaisir, si le tube d’été du Président est le talisman pour ramener, en hiver, de Qatar à Dakar, le trophée tant convoité. On était mercredi 7 septembre quand le chef de l’Etat a poussé la chansonnette au Grand Théâtre. Le Conseil des ministres, en vacances et en fin de mission depuis les Législatives, ne s’est pas réuni. Pour la rentrée, l’équipe gouvernementale reviendra autrement composée avec un capitaine appelé « Premier ministre ».
Le Président a donc chanté. On a bien envie de saluer le lead vocal par un standing ovation. Mais en a-t-on le droit avec une conjoncture aussi désespérante que celle vécue par les Sénégalais. En effet, Monsieur le Président, la vie n’est pas rose. Elle est même morose et tout sauf chantante. Inondations avec morts et maladies, pouvoir d’achat réduit comme peau de chagrin par la flambée des prix, pères et mères de famille angoissés, santé chancelante, éducation défaillante, accidents mortels, terres bradées et même braconnées, anarchie foncière et immobilière, institutions chahutées, dépenses somptuaires pour des infrastructures pas toujours adéquates… Bref, le tournis est à la fois économique, familial et social.
« Monsieur le Président, les Sénégalais sont fatigués ». Ce constat d’un célèbre juge dans les années 80 est toujours d’actualité. Pire, vos compatriotes sont au plus bas de la pyramide de Maslow ! Pendant ce temps, le PR est dans les airs. Comme pour snober son monde, il parle aux sinistrés des inondations avec leur bilan macabre alors qu’il est à des milliers de kilomètres du Sénégal. De ce fait, il est en vacances du pays. Redescendre sur terre et oser regarder la réalité en face. Non pas en faisant la politique de l’autruche, mais en engageant un corps à corps courageux avec les urgences et les priorités. Une descente dans les zones inondées pour être au chevet des familles sinistrées aurait été plus parlante que les beaux discours. L’inertie de la gouvernance actuelle est sidérante. Frustrante. Révoltante même.
L’indifférence à l’endroit du peuple est telle que la nomination d’un Premier ministre, qui devait intervenir depuis des mois, est rangée dans des tiroirs poussiéreux. Certes un Premier ministre sera nommé dans les prochains jours. Mais servira-t-il à grand-chose quand, auparavant, le Président a déjà fini de montrer l’inutilité du PM en refusant justement de le désigner depuis bientôt une année, malgré la restauration de la fonction et les déclarations faites urbi et orbi ? Le poste de Premier ministre est pourtant inscrit dans la Constitution au même titre que celui de président de la République. Passons sur les arguments spécieux pour justifier sans toutefois convaincre, le refus de nommer un Premier ministre. Cette façon de faire relève de la désinvolture. A moins que le Président soit peu inspiré.
Volontairement ou involontairement, le Président Macky Sall s’est évertué, ces dernières années, à faire la promotion de profils qui laissent à désirer quant à leur capacité à gérer un pays. Par ses erreurs et parfois, ses fautes, ces quidams se recrutent désormais à une échelle industrielle dans le champ politique. Bonjour le nivellement par le bas. Il n’y a guère longtemps on s’en moquait. « Lui maire ? Il peut rêver ! ». « Lui député ? Impossible ! » Et pourtant c’est arrivé. Plus d’une fois !!! Demain, ce sera la présidence de la République. Le 12 septembre, jour de l’installation des nouveaux députés, notre pays aura un avant-goût de ce qui le guette. La présidence de l’Assemblée est fortement convoitée.
Face à ce tableau sombre, les Sénégalais ne chantent pas. Ils déchantent.
Mamoudou Ibra KANE