« Lettre ouverte à Mr le président de la République « | (Par Mme Marie-Pierre Rokhayatou SARR)
L a situation politique actuelle est très tendue. Notre cher pays est encore à la croisée des chemins. J’ai appris qu’un de vos proches, Moustapha Kane, votre ancien Chef de Cabinet, Président du Conseil de surveillance de l’Asepex, a préféré démissionner de ce poste, démission qui ne peut, j’en suis sûre, vous laisser indifférent. Il justifie son acte «pour être logique dans sa démarche qui consiste à montrer sa désapprobation à votre troisième candidature en 2024».
S’en est suivie celle du Coordonnateur de votre parti au Canada, pour vous manifester lui aussi, dans une lettre ouverte, son opposition à votre éventuelle troisième candidature.
Mr le Président, vous êtes attendu principalement sur cette question qui est d’ailleurs sur toutes les lèvres, elle est, en effet, au centre de toutes les attentions de nos concitoyens. L’article 27 de la Constitution est pourtant sans équivoque, ses deux alinéas sont bien dissociables. L’alinéa 1er traite de la durée du mandat qui est fixée à cinq ans. Quant à l’alinéa 2 qui fixe le nombre autorisé de mandats, il dispose : «Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs». Cet alinéa a ainsi levé toute équivoque sur le sens des mots utilisés. C’est clair comme l’eau de Roche, on ne peut y perdre son latin, c’est écrit dans un français limpide. Tout le monde est en mesure de comprendre la phrase, on n’a même pas besoin d’être juriste. Un mandat qu’il soit de 7, 5 ou 3 ans est un mandat. Peu importe la durée du mandat qui n’a rien à voir avec le nombre. Les deux alinéas les distinguent bien, l’interprétation n’est donc pas nécessaire. Et puis, vous en êtes le premier interprète, le concepteur. L’obstacle juridique de la troisième candidature est donc bien là. Vous êtes en effet en train d’exercer votre second et dernier mandat, Mr le Président.
Votre prédécesseur a été élu en 2000 sur la Constitution du 7 mars 1963 qui avait supprimé en 1998 la limitation du nombre de mandats présidentiels, contrairement à vous qui avez été élu en 2012 avec la Constitution de 2001 votée par référendum (loi n°2001- 03 du 22 janvier 2001 portant Constitution modifiée (jors n° spécial 5963 du 22 janvier 2001, p.27). Cette Constitution de 2001 avait d’ailleurs déjà verrouillé la limitation des mandats à deux. Il disposait : «…Le mandat est renouvelable une seule fois».
Vous avez toutefois souhaité fortifier la limitation des mandats avec le référendum de 2016 (article 1er loi constitutionnelle n° 2016-10 du 5 avril 2016 portant révision de la Constitution, jors n° spécial 6926 du 7 avril 2016, p.505, article modifiant et remplaçant l’article 27) et c’est tout à votre honneur. La clause d’éternité est même venue pérenniser cette limitation.
Aucune dérogation n’est possible au principe d’interdiction absolue posée par l’alinéa 2, une disposition transitoire pour éviter toute ambiguïté n’est pas prévue. Elle pouvait être rédigée par exemple de la façon suivante : «L’alinéa 2 de l’article 27 ne s’applique pas au premier mandat de 7 ans», ce qui n’est pas le cas.
Il vous appartient donc de respecter notre Charte fondamentale, comme mentionné dans l’article 37 de la Constitution qui dispose : «Le Président de la République est installé dans ses fonctions après avoir prêté serment devant le Conseil constitutionnel. Le serment est prêté dans les termes suivants :
Devant Dieu et devant la Nation sénégalaise, je jure…d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution…».
Vous allez exercer finalement le pouvoir pendant 12 ans. Ce qui est assez suffisant pour éviter l’usure du pouvoir.
Une élection présidentielle étant cruciale, vous pouvez présenter un candidat en 2024. Comme l’a si bien dit mon ami le professeur El Hadj Mbodj, lors de l’émission « Face à la Nation » en date du 2 octobre 2022 , en réponse aux questions du journaliste Khalil Guéye (vidéo à la 29ème mn 14 secondes) : «est-ce qu’aujourd’hui si le Président de la République du Sénégal décidait de mettre fin à tous ces bruits sur le troisième mandat et ne se présentait pas, est- ce qu’il peut revenir au pouvoir à travers le scénario Medvedev-Poutine… ? Est-ce que le Sénégal est préparé à ça ?»
Sa réponse sans équivoque est la suivante : «on se réfère aux textes et les textes prévoient cette situation. On dit que nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. Cela veut dire après deux mandats, faut prendre une pause et c’est tout à fait possible de revenir et faire deux autres mandats… ».
J’ai lu, par ailleurs, le livre du journaliste Vincent Hugeux «Reines d’Afrique» paru en 2016, un chapitre intitulé La Mackysarde de Dakar, est consacré à votre épouse. J’y ai apprécié sa sagesse et sa lucidité, lorsqu’elle dit à la p.175 : «Notre séjour ici aura une fin… car je garde à l’esprit qu’il y aura bien demain un après pouvoir». Elle poursuit et c’est à souligner : «Macky Sall fera deux mandats». Mais l’auteur ajoute : «Reste à savoir si la louable injonction survivra durablement aux poisons du palais et à ses vanités».
Quant au vaudeville politico-judiciaire, je partage tout à fait le point de vue de Mme Penda Mbow, votre représentante personnelle à la Francophonie, qui estime que « pour la première fois dans l’histoire politique du pays, une jeune femme est devenue un instrument manipulé entre les mains d’hommes politiques, transformé en tant qu’objet pour des objectifs purement politiques. Ce qui constitue en effet la plus grave forme de violence exercée sur une femme ». C’est aussi mon intime conviction. Des témoignages parus dans la presse ont aussi retenu mon attention : celui du gynécologue qui a établi le certificat médical (une preuve scientifique) écartant l’existence de tout rapport sexuel dans la période incriminée, attestant donc le non viol, du gendarme qui a conduit l’enquête préliminaire, du rapport interne de la gendarmerie, de la deuxième masseuse, puisqu’elles étaient deux à pratiquer le massage, de la propriétaire du salon de massage, de son mari, de l’ancienne patronne de la jeune femme. Ils disent pratiquement tous qu’ils craignent à présent pour leur vie, ce qui est bien inquiétant. J’ai également écouté mmm sur les réseaux sociaux les audios du marabout de la plaignante.
En revanche, je relève l’absence de preuve pouvant accabler l’accusé et que le juge d’instruction, n’a pas, à ma connaissance, entendu toutes les personnes impliquées pourtant, dans ce prétendu viol, qui a entraîné malheureusement des conséquences dramatiques. Je vous invite, Mr le Président, à apprendre de l’histoire qui n’est malheureusement qu’un éternel recommencement. Ne vous laissez pas tromper par les illusions d’optique, un leurre politique déjà vu avec vos prédécesseurs.
Mon souhait est de vous voir achever tranquillement votre second et dernier mandat et vous retrouvez, pourquoi pas, dans une organisation internationale. Seul le pouvoir de Dieu est éternel. Je ne vous souhaite pas de sortir par la petite porte, d’autant que notre brave peuple vous a tout donné et mérite une transmission pacifique du pouvoir en 2024.
Comme votre parti s’appelle l’Alliance pour la République, il vous serait facile de prouver, j’ose l’espérer, que vous êtes un républicain dans l’âme.
Mme Marie-Pierre Rokhayatou SARR
Docteur d’état en droit maître de conférences à la faculté des sciences juridiques et politiques de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar à la retraite une citoyenne qui, toute sa vie, a lutté contre l’injustice et pour le respect de la légalité